Tuesday, February 4, 2014

« Violences Religieuses en Asie : Anciennes et Nouvelles Dynamiques » par MM Mohamedou


« Violences Religieuses en Asie : Anciennes et Nouvelles Dynamiques » 


Conférence devant l’Association Genève-Asie
et
le Cercle des Amitiés Internationales

Genève, mercredi 29 janvier 2014

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou
Graduate Institute et Geneva Centre for Security Policy

« Violences Religieuses en Asie : Anciennes et Nouvelles Dynamiques »

Bonsoir.
Chers amis, chers collègues, Mesdames et Messieurs, merci pour votre chaleureux accueil et votre aimable présence.

Je suis particulièrement heureux d’être parmi vous ici ce soir, et je voudrais, avant toute chose, remercier l’Association Genève Asie ainsi que le Cercle des Amitiés Internationales pour leur aimable invitation. Celle-ci m’honore grandement et je me réjouis de cette opportunité qui m’est donnée d’intervenir devant une telle assemblée, qui a une longue et riche histoire. Je remercie en particulier les présidents des associations, M. Olivier Turrettini et M. Michel Veuthey,  pour leur amabilité et pour cette initiative.

C’est avec un réel plaisir que je voudrais sur cette thématique qui a été retenue — « Violences Religieuses en Asie : Anciennes et Nouvelles Dynamiques » — partager avec vous quelques brèves observations afin, je l’espère, de nourrir une réflexion dans cet Esprit de Genève qui nous est commun (et dans, donc, ce lieu particulièrement approprié) ; une réflexion qui sera également nécessairement continue et ouverte, sur une question qui est présente autour de nous, de façon à la fois diffuse et circonscrite, immédiate et distribuée sur une plus longue période, et qui est malheureusement dans l’actualité de notre époque de façon prégnante.
Je rencontre cette thématique de radicalisation régulièrement dans mes recherches académiques depuis une vingtaine d’année sur la violence politique, le terrorisme transnational, les transitions sociopolitiques et la formation de l’État, et c’est là une occasion bienvenue d’examiner ces aspects particuliers sur la religion ce soir.

Lorsque l’on observe le monde aujourd’hui — au-delà de cette violence politique et ce terrorisme dont j’ai fait mention — un autre type de violence, dans un autre registre, est visible, et à tendance à de plus en en plus dominer ces animosités auxquelles nous pouvons assister. Cette réalité, cette scène, est celle que je voudrais aborder avec vous en partageant quelques idées ancrées dans la nature de cette évolution et sa visibilité dans une aire asiatique comprise largement, notamment à l’occasion des projections transnationales de cette violence ; ces capacités qu’ont les acteurs de tous types, notamment les groupes armés, désormais de projeter leurs actions bien au-delà de leur aire d’action, à la fois de façon physique mais également de façon perceptuelle, selon par exemple la visibilité médiatique et toutes sortes de relais qu’offre la mondialisation.

Religion(s), violence(s), temporalité(s) et géographie(s) seront donc le matériau de cette charpente autant analytique que résultante d’une observation historique.

Mon point de départ est, logiquement, la religion ou plutôt les religions. En tant que série de croyances, de visions du monde, de systèmes culturels et de récits, la religion se prête, voire invite, une certaine disposition comportementale.

Rarement est-elle, n’est-ce pas, confinée à l’évanescent et au spirituel, même si paradoxalement c’est précisément là son objet fondateur, cette « contemplation de l’Éternel ».

Elle introduit, en tous les cas, des dimensions de sacralité qui sont conséquentes ; une moralité, une éthique, un mode de vie dans certains cas (on dit souvent, par exemple, et ce n’est pas forcément une exagération, que l’Islam n’est pas « simplement » une religion, c’est un mode de vie).

La religion dans sa plénitude embrasse un large éventail  d’activités sociales et de paramètres sociétaux qui englobent donc le potentiel recours à une expression radicale de ces convictions (des extrémismes qui n’iraient pas jusqu’à la violence ; brimades, exclusions, discriminations, discours haineux), d’abord, puis toujours potentiellement une expression violente de ces certitudes (je laisse de côté, ici, les rituels, cérémonies et autres initiations qui peuvent également s’illustrer par diverses formes de violence).

Aussi, si la perception ambiante à ce stade de l’histoire mondiale est que la laïcité est une valeur de plus en plus répandue internationalement, et si de larges zones de notre monde — le monde occidental et le monde asiatique notamment — vivent depuis des décennies sous le « crépuscule des idoles » ou « des dieux », selon que l’on suivra Nietzche ou Wagner, l’on ne doit pas, pour autant, perdre de vue le fait que la majorité des habitants de la planète revendique néanmoins une religiosité sous une forme ou une autre.

Selon le Global Index of Religiosity and Atheism, un rapport publié par l’Institut Gallup en juillet 2012, quelque 60% des individus à travers le monde se considèrent « religieux », avec un découpage intéressant :
82% pour les Hindous, 81% parmi les Chrétiens, 74% parmi les Musulmans et 38% chez les Juifs.

Ceci est à mettre en relation avec un déclin global de religiosité, entre 2005 et 2012, passant de 77% à 68%. (Notons que la Suisse est en deuxième position passant, selon ce rapport, de 53% à 30%, de « religiosité » donc – encore faut-il voir comment ceci est empiriquement mesuré — durant la même période 2005-2012.)

Dernier enseignement de cette étude pertinent pour cette assemblée, les deux premiers pays « athées » (qui ne conçoivent pas l’existence de divinité surnaturelle), selon les termes du rapport, se trouvent en Asie, à savoir la Chine et le Japon.

Ce n’est pas le lieu, ici, d’examiner en détails ce qui constitue une religion — et de le faire nécessairement de manière comparative — mais plutôt, comme on l’a dit, de se pencher sur les implications de ces croyances et notamment les soubresauts qu’ils génèrent et que l’on peut observer ici et là. Pour autant, il importe de saisir de façon générique la nature du sentiment religieux afin de cerner ce qui peut susciter un radicalisme en son nom.

Dans Origine et Développement de la Religion, l’orientaliste allemand Friedrich Max Müller défini en 1879 la chose ainsi : « La religion est une faculté de l’esprit qui rend l’homme capable de saisir l’infini sous des noms différents et des déguisements changeants ». Très élégante formule que cette « captation de l’infini », mais c’est en réalité bien plus souvent l’immédiat terrestre, on dira, qui informe le comportement de ceux qui usent de la religion pour projeter leur intolérance à l’égard d’autrui.
Par ailleurs, la religiosité elle-même ou le sentiment de religiosité (la croyance en une déité quelle qu’elle soit) peut également prendre des formes de spiritualité ou syncrétisme. C’est le cas, par exemple, de la foi Bahaï ou — même si on les identifie moins souvent comme tels — des Alaouites syriens  qui ont incorporé des éléments du chiisme perse, du christianisme byzantin et du panthéisme hellénistique.

Enfin, la tradition — paramètre fondamental dans cette discussion — peut et s’est souvent substituée à la religion, par simple pratiques et habitudes généralisées ou par dessein (par exemple, les Talibans en Afghanistan dont les agissements et codifications sont les résultantes de leurs propres lectures idiosyncratiques et non de la norme islamique qu’ils théâtralisent).

Dans son texte fondateur de 1897, De la Définition des Phénomènes Religieux, le sociologue français Émile Durkheim insistait de la sorte, à juste titre, sur « les faits religieux » et non « la religion ». Et c’est précisément, comme il écrit, cette « multitude de manifestations religieuses qui ne ressortissent à aucune religion proprement dite », qui sont donc des pratiques éparses dont il s’agit de voir les affinités qui peuvent naitre avec la violence et qui sont bien souvent connotées ou constituées contre les vecteurs de tolérance que l’on peut rencontrer dans toutes les religions.

Comprenons bien que la violence elle-même n’est pas, on en conviendra sans nulle naïveté ou angélisme, absente de l’éthos ou du récit des religions. Les textes sacrés des grandes religions monothéistes, pour ne citer que celles-ci, sont assurément parsemés d’illustrations où la démonstration de la foi s’illustre par quelque violence faite à quelque chose, à quelqu’un ou à soi-même.
Le Christianisme de Jésus est une religion de paix, mais le Pape Urbain II prêche la Croisade au 11ème siècle. L’Islam est une religion de tolérance, mais les conquêtes arabes du 8ème siècle ont lieu sous le sceau de la guerre sainte. Compassion pour « l’amour chrétien » et pardon pour « l’entraide musulmane », bien compris donc.

Et pourtant, violences des siècles durant autour de ces deux religions, entre elles et en leur seins — à nouveau pour ne citer que celles-ci (mais Chrétiens et Musulmans constituent à eux deux la moitié de la population mondiale). L’ancien testament hébraïque, par exemple, contient également toute sorte d’épisodes de recours à la violence (et la Torah parle de tribus « annihilées » par les Hébreux). La séquence est connue : l’altérité ouvre le chemin à la stigmatisation qui mène à l’aliénation et celle-ci à la victimisation, permettant au bout du compte la violence (qui se meut elle-même toujours en cercle vicieux de vengeances).

Plus en avant, les rencontres entre ces mêmes grandes religions, pensons bien entendu aux Croisades mais également aux guerres intestines au sein de ces religions — les schismes Sunnite-Chiite en Islam ou Catholique-Protestant en Chrétienté — offrent suffisamment d’exemples d’opposition et de radicalismes politiques et sociaux devenant existentiels du jour au lendemain et prenant la route de la violence et de l’élimination des « infidèles », « impies », « mécréants » et autres « hérétiques », quels qu’ils soient.

On trouvera également des auteurs qui soutiennent que la religion — cet « opium des peuples » — est intrinsèquement violente ou aliénatrice, ce que l’on peut entendre mais que je ne pense pas pour ma part.

Croire en une déité, quelconque, ne mène pas, il me semble, inévitablement, irrémédiablement, à l’exclusion, violente, de ceux qui ne partagent pas cette croyance. Citoyenneté et religiosité ne sont pas antinomiques. Ils n’ont, en tous cas, guère besoin de l’être. Et le radicalisme religieux est presque toujours la conséquence d’une lecture libre, et donc potentiellement déformante, et non pas d’une injonction scripturale explicite.

De fait, ces fameuses guerres dites de religion en Orient et Occident, n’ont, en réalité, fonctionnées de part et d’autres que sur un mode de « sacralisation de la guerre ». L’opposition entre Chrétienté et Islam avait ainsi eue lieu essentiellement à la faveur d’une martialité théologisée des termes de l’échange, si l’on peut dire.

Comme le rapporte le médiéviste Jean Flori, dans son ouvrage Guerre Sainte, Jihad, Croisade paru il y a quelques années : « La sacralisation de la guerre s’amplifie notablement en Orient et en Occident et la résistance des populations se colore parfois de teintes prophétiques et d’espérance en des interventions célestes… …et ceci apport[e] de nouveaux éléments de sacralité à l’usage de la violence armée lorsque celle-ci est destinée à défendre… des personnes et des bien terrestres. Les deux religions en arrivent à cette date (fin du onzième siècle) à un niveau similaire de sacralisation de la guerre ». Plus tôt, les Hébreux avaient, sur le même mode, développé la notion de Milchemet Mitzvah, une guerre lancée par un pouvoir spirituel et menée pour des intérêts religieux.

Le poids de ce passé, et il est lourd, est donc celui-ci : problème d’antinomie entre des prescriptions de paix et des comportements de guerre ; des dynamiques de rapprochement et des positions de rejet ; des tentatives de comprendre et accepter la différence et des actions d’aliénation. Mais ce passé nous révèle également les limites de cet exercice où les violences motivées par un tropisme religieux ne sont que ceci, une justification, de l’instrumentalisation, de la dénaturation — en un  mot de l’esbroufe.

La violence peut être poursuivie pour un éventail de raisons, et ceci inclus toutes sortes d’idéologies notamment religieuses. Ces vecteurs religieux peuvent aisément être un refuge pour une rationalisation (de l’épuration par exemple ; la quête des « vrais » croyants) ou une projection de volonté (Deus vult, Dieu le veut) puisqu’elles englobent un corpus de raisonnement déjà accepté par telle ou telle communauté.

L’inspiration est, ainsi, prête et se module selon les motivations des uns et des autres, et ceci met en relief en particulier le rôle des leaders religieux, comme il souligne leur responsabilité.

Cette architecture constitue, à mon sens, une psychologie commune de l’homme à travers les âges et les régions dont nous récoltons aujourd’hui les fruits vénéneux, et on a pu l’observer en Asie comme ailleurs. En résumé, la répulsion générant quelque violence a souvent résulté d’une distorsion d’éthiques religieuses explicitement ancrées dans la tolérance (à nouveau, sans forcer le trait de religions qui portent indéniablement un narratif de violence, qui est aussi dans la nature humaine).

Il ressort de cette réflexion que les chocs qui peuvent émerger dans ce contexte sont ceux de l’interprétation et de la mise en avant de lectures orientées.
Pour autant, on ne saurait minimiser des actions concrètes qui, au cours des dernières décennies, ont cumulativement abouties à ce constat que nous pouvons faire aujourd’hui d’un problématique regain d’acuité des violences religieuses.

On a ainsi beaucoup parlé de « fondamentalisme » religieux depuis les années 1980. Très précisément, au lendemain de la révolution iranienne de 1979 qui déposa une monarchie séculière (qui interdisait explicitement toute manifestation religieuse et encadrait strictement le clergé) et porta au pouvoir un régime religieux qui a mis en place dans ce pays une théocratie sous la forme d’une république islamique. À cet égard, le terme « fondamentalisme » est présent dans diverses religions. Pour précision, il a d’ailleurs été inventé par un pasteur américain, Curtis Lee Laws, à la suite d’un mouvement réformateur initié par les presbytériens de Princeton au New Jersey en 1920.

On peut alors penser qu’en corrélation avec le système communiste soviétique qui s’essouffle déjà (l’historien français Emmanuel Todd prophétise tôt sa Chute Finale — c’est le titre de son ouvrage — dès 1976), les événements à Téhéran ne sont pas « simplement » une situation régionale mais intègrent ou révèlent un début de visibilité accrue mondialement d’une relation entre crises politiques, violences ou tension et religion.

À partir des années 1980 donc l’extrémisme religieux occupe de plus en plus d’espace dans les relations internationales. Puis, au cours des dernières années, la violence religieuse a été crescendo.

Dans un rapport publié il y a quinze jours, ce 14 janvier 2014 par le Pew Research Project on Religion and Public Life à Washington, un tiers des pays de la planète (33%) connaissent une forme ou une autre de conflit religieux. De plus, cette violence a augmenté au cours des dernières années. Et, la seconde région ou cette augmentation est visible est l’Asie, précisément, l’Asie-Pacifique, précédée uniquement par le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Quelles sont les raisons pour lesquelles cette violence a lieu ? D’où vient cette évolution qui fait la part belle à l’extrémisme ?

On peut avancer plusieurs éléments de réponses.

Une première série, la plus directe peut-être, est à trouver dans des mesures concrètes qui peuvent aliéner des communautés, poussant certains de leurs membres à faire le choix de la violence. Ainsi en va-t-il des restrictions que des gouvernements particuliers posent à l’observation d’une religion. C’est notamment le cas de la Chine, mais également de la Birmanie et de l’Indonésie, et ceci crée ou nourrit des hostilités.

Voyons sur d’autres versants comment les tensions entre Coptes et Musulmans se sont jouées ces dernières années, et ce, jusqu’à la veille du « printemps arabe » tout au long de l’année 2010 en particulier, ou, plus vers l’Asie, les Chrétiens et Assyriens en Irak, ou ceux aujourd’hui en Syrie.

Au-delà de cette dimension de « rejet radicalisant » on dira, je vois trois grandes raisons pour ce regain contemporain de violences religieuses.

La première concerne la période de l’Histoire dans laquelle nous nous trouvons. Nous l’avons dit, la violence religieuse vient de loin. Mais, il semblerait qu’elle soit en augmentation, si l’on en croit les chiffres cités, ce qui voudrait également dire qu’elle a connu une période ou elle était moins importante, ou en tous cas moins visible. Si cela était le cas, je pense que l’inévitable réponse serait donc à situer dans la rupture qu’a marquée la fin de la Guerre Froide.

Lorsqu’en 1993, le politologue Samuel Huntington publiait un article dans la revue Foreign Affairs intitulé « Choc de Civilisations ? » dans lequel il affirmait que la fin de la guerre froide annonçait le début d’une ère qui serait marquée par la montée des tensions entre les différents groupements culturels, une levée de boucliers générale condamnait un tel alarmisme culturel.

(Je me trouvais à Harvard à cette époque en tant que jeune post-doctorant et ai eu l’occasion à la fois de suivre de près cet épisode et de m’entretenir longuement avec le professeur américain.)

Pourtant, si l’on met de côté le procès médiatique du « choc de civilisations » et l’instrumentalisation politicienne de ce qui n’est qu’une théorie de sciences politiques (s’inscrivant dans la lignée métahistorique d’Ibn Khaldoun, Arnold Toynbee, Fernand Braudel, Oswald Spengler et Immanuel Wallerstein) par les extrémistes en Occident comme en Orient (très ironiquement à la fois Al Qaeda et l’administration Bush s’y réfèrent dans leurs déclarations respectives), une certaine utilité analytique émerge de ce constat.

Que disait Huntington en substance ?

Définissant les civilisations comme des entités culturelles, il avance d’abord l’argument que les relations internationales sont, depuis la fin de la Guerre Froide, entrées dans une nouvelle phase dans laquelle le prochain mode de conflit ne sera ni idéologique ni économique mais d’ordre culturel. Les failles entre les « civilisations » (terme vaste et élastique on en conviendra) constitueront, ensuite, les fronts de guerre du futur.

Pour lui, les nouveaux conflits ne résulteront plus d’affrontements idéologiques ou de rivalités économiques, ils seront d’ordre culturel et religieux.

De plus, le rétrécissement du monde en un village planétaire œuvrant à accentuer les différentes consciences, la domination de l’Occident — portée par les États-Unis — pousse les autres civilisations  à chercher à s’y opposer de façon non-occidentale (le sous-titre de son ouvrage est The West and the Rest).

Au final, pour certains groupes, les caractéristiques d’identités culturelles (« qu’êtes-vous ? ») ou religieuses (« en quoi croyez-vous ? ») sont, dans cette période, moins aptes à la mutation et, de fait, moins à même d’être compromises que les déterminants politiques (« de quel côté êtes-vous ? ») puisque l’opposition idéologique de type Guerre Froide appartiendrait au passé.

En réalité, Huntington introduit simplement un paradigme ancien pour analyser une situation nouvelle dans un champ de relations internationales évolutif.
L’universitaire met en avant la compétition religieuse, et l’identité civilisationnelle qui l’englobe, comme facteurs-clefs dans un agencement international au sein duquel les loyautés politiques se sont déplacées. Une analyse rigoureuse de la géopolitique du dernier quart du vingtième siècle lui donne raison, sur ce point.

On peut être ou ne pas être d’accord avec Huntington, et son déterminisme pose problème, mais le fait est que depuis la parution de son ouvrage les hostilités religieuses se greffant sur tel ou tel conflit sont devenues plus visibles que durant les décennies précédentes, et, nous dit le Pew Research Center, en augmentation statistique.

Une seconde famille de raisons qui peut, à mon sens, expliquer le regain de violences et celui de l’irrésolution de certains conflits qui peuvent désormais prêter flanc à des lectures religieuses radicales. Et ceci est également lié à cette (ré)ouverture de l’après-guerre Froide où le retour aux identités (problème tchéchène, problème kurde, problème touarègue, etc…) remet en selle des questions religieuses demeurées  irrésolues depuis la période coloniale.

Que ce soit dans les territoires autrefois contrôlés par l’empire britannique (Inde, Pakistan, Bangladesh) ou français (Cambodge, Laos, Vietnam), les tensions religieuses demeurent vives et toute nouvelle configuration de l’ordre globale peut permettre aux extrémistes de réinvestir ces questions enfouies.


Au Sri Lanka, ces dernières années des moines bouddhistes ont attaqué à la fois des églises et des mosquées. Au Vietnam, les adeptes du Caodaïsme, une religion syncrétiste née dans les années 1920, se sont récemment violemment affrontés.

De même, la répression et l’intimidation des musulmans Ouïghours en Chine dans la région du Xinjiang a pris une grande ampleur au cours des dernières années, ce qui a pu nourrir le radicalisme en leur sein (d’aucuns pensent, par exemple, que le récent attentat de la place Tiananmen en octobre dernier aurait été le fait d’extrémistes ouighours). En Birmanie, les violences interconfessionnelles entre les communautés des musulmans Rohingya et des bouddhistes Rakhine n’ont pas cessés avec des lynchages en 2012, et, globalement, l’exil de plus de 100,000 personnes.

Enfin, troisième tropisme, l’extrémisme religieux, en Asie comme ailleurs, est plus visible aujourd’hui dans des terreaux qui connaissent une forme ou une autre de transition.

À cet égard, je vous soumets l’idée que la transition est peut-être la grande matrice explicative de notre époque et que, depuis, 35 ans nous sommes, sans l’avoir peut-être assez souligné, dans une grande transition qui se donne la main de l’après-Guerre Froide à l’après-11 Septembre à, déjà, l’après-Printemps arabe.

Or, l’une des conséquences des périodes de transitions est l’ouverture du champ de compétition politique et sociale, qui peut se traduire en hostilités prenant appui dans des différences ethniques ou religieuses.

La transition post-soviétique libère ainsi toute sorte de velléités d’émancipation religieuses en Asie Centrale et au Caucase, et bien entendu aux Balkans. Les conflits de l’après-11 Septembre en Afghanistan et en Iraq sont traversés de dimensions religieuses qui, souvent, relèguent l’objet anti-terroriste au second plan. Enfin, l’après-Printemps Arabe est dominé par ce qui est en passe de devenir le grand conflit de notre époque dans une large aire allant du Levant à l’Asie en passant par le Golfe, à savoir l’opposition de plus en plus existentielle entre les musulmans Sunnites et les musulmans Chiites. Ce conflit est illustré de façon extrême en Syrie par exemple.

Voilà, chers amis, Mesdames et Messieurs, les quelques réflexions que je voulais partager avec vous sur cet important sujet et que nous devons garder à l’esprit à la fois pour mieux comprendre et cerner les manifestations de ces radicalismes, en Asie et au-delà, mais également pour nous en prévenir en préservant et cultivant ce qui est particulièrement précieux, à savoir intelligence, nuance et tolérance.

Je vous remercie pour votre attention.


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